Le maître du réel (bis) : l’amour

Edito - L’art du cinéma n°104

par Denis Lévy

Ce deuxième numéro consacré aux films d’Alfred Hitchcock est plus particulièrement centré sur la question de l’amour. Cet aspect de son œuvre est assez généralement négligé, occulté par le fameux suspense qui, selon l’opinion courante, ferait toute la substance de ses films. C’est s’arrêter en chemin, car le suspense est une forme que le cinéaste emploie, en effet avec virtuosité, pour susciter des idées. Le suspense pour Hitchcock n’est jamais une pure forme : il est noué au réel, c’est par excellence "l’espace de liberté du spectateur", l’espace où il se trouve le plus dans le bonheur du travail. Parmi ces idées, celles sur l’amour occupent une position centrale dans un grand nombre de ses films, dès le début de son œuvre, et sous des formes très variées.
L’importance de l’amour se donne moins à travers les histoires racontées que dans la relation singulière que les films instaurent avec le spectateur. Ainsi, The Lodger exerce le regard à la confiance en ce qu’il voit, ou The Farmer’s Wife à considérer ses personnages sur un pied d’égalité. Rich and Strange, comédie du remariage et précoce satire du tourisme, subvertit toute appréhension morale de ses héros. Jamaica Inn fait découvrir l’amour là où on ne l’attend pas. Rebecca joue du désir de romantisme du spectateur pour en montrer l’impasse. Spellbound revient sur la question de la confiance du regard en l’articulant au rôle de l’amour dans la psychanalyse, sur lequel insistera Marnie. North by Northwest donne à penser l’immaturité, obstacle à l’amour dans le monde contemporain, de même que l’argent, qui altère les relations amoureuses dans Psycho et, plus tard, Frenzy.

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