Pères et Fils
Edito - L’art du cinéma n°97
par L’art du cinéma
Le cinéma s’est souvent emparé de la relation entre père et fils, occasion de poser, notamment, la question Que transmettre ? Une génération est-elle soumise à la répétition de la précédente, dans un monde dont les limites ont été fixées par des pères-tyrans, ou sa maturation se donne-t-elle dans sa capacité à critiquer les pères pour transformer le monde ? Question soulevée encore récemment dans Black Panther.
On peut soutenir que c’est la transmission qui fait le père : père réel ou symbolique, comme dans Barberousse, où l’apprentissage de la médecine par un jeune homme sous la direction d’un maître devient une véritable initiation au monde, à la pensée et à la conscience. Aussi bien, l’apprentissage se fait parfois dans les deux sens, comme dans Rivière sans retour, voire principalement en sens inverse, comme dans La vengeance d’Hercule ou Tel père tel fils.
Il arrive que ce soient les fils qui décident du statut d’un père : Harold Lloyd, qui fut une figure burlesque de fils pendant la période muette, fait de son ultime chef-d’œuvre, The Cat’s Paw, le récit d’une maturation politique au cours de laquelle son personnage désigne lui-même son père symbolique. De même, on voit, dans Home From the Hill, un fils énoncer à son père à quelles conditions il acceptera de le reconnaître comme tel. L’absence de transmission par les pères installe une durable désorientation des fils, qui a généralement pour conséquence de ne leur laisser le choix qu’entre la révolte brutale ou la soumission aveugle à l’ordre dominant : bilan mélancolique tiré par Écrit sur du vent.
Jusqu’aux années 1940, le cinéma semble s’intéresser davantage aux relations père-fille ; la tendance s’inverse après la Deuxième Guerre Mondiale : on voit apparaître en particulier des personnages typiques de la jeunesse désorientée, ce qu’on appelait à l’époque les « blousons noirs », jeunes de toutes classes sociales en révolte contre la génération de leurs parents. Le film emblématique de cette période est évidemment Rebel Without a Cause (La Fureur de vivre, Nicholas Ray, 1955), dans lequel la désorientation de ses jeunes héros est clairement d’ordre idéologique, contrairement à la déréliction sociale qui a suivi la Première Guerre Mondiale : les délinquants des années 1950 ne sont pas les gangsters des années 1920. Cependant, cette désorientation des fils, due à une défaillance des pères qui dure encore et s’est même considérablement généralisée en s’aggravant d’indigence sociale, n’est pas traitée par les films principalement d’un point de vue individuel, mais plutôt en termes de générations.
Le cinéma américain en particulier évite le psychologisme et laisse la dimension intime en retrait au profit d’un propos sur le devenir du pays : même un film aux fortes implications psychanalytiques comme La chatte sur un toit brûlant peut être vu comme la confrontation de deux Amériques. On ne s’étonnera donc pas de repérer l’affrontement des pères et des fils dès les années 1940 dans le western, genre propice aux investigations sur le pays : The Ox-Bow Incident, film très singulier par sa noirceur, montre le lynchage de trois hommes accusés à tort par une bande de villageois désœuvrés ; un ex-colonel sudiste oblige son jeune fils à se joindre à eux, mais celui-ci trouvera le courage de s’opposer à son père en prenant parti contre les lyncheurs. Après la guerre, le conflit des générations devient central dans Red River, The Lonely Man ou Saddle the Wind (entre autres), comme le thème de la transmission dans The Searchers, The Last Wagon ou The Tin Star ; l’un et l’autre sont présents dans Rivière sans retour. Ce n’est d’ailleurs peut-être pas une simple coïncidence si l’action de Dunkerque se situe précisément en 1940, et en fait un exemple historique d’alliance entre générations qui permet de penser et d’orienter notre présent.
Dans tous ces films, la relation entre père et fils est une figure paradigmatique de la transmission, qu’elle soit de l’ordre du modèle, ou de l’expérience.