Le jeune Karl Marx (Raoul Peck, 2017)

par Elisabeth Boyer

Tout est contenu, annoncé, dans le titre du film... comme le bonheur de sa surprise, de sa déclaration : Le Jeune Karl Marx - l’adjectif comme un oxymore - est une annonce, osons : un scoop ! L’affirmation de l’actualité, de la jeunesse de Marx, d’un nom connu de tous - même si massivement statufié, tout comme Le Capital -, pas fatal : Karl, ici, redevient aussi un prénom courant... Le film est adresse à ses pareils.

Mesure de ce que signifie réellement "Jeune". Le désir réel, les décisions, leurs conséquences tenues en toute circonstance. Karl (Marx) et son amour, sa femme Jenny, affrontant ensemble le souci de pauvreté ; la rencontre sidérante avec Friedrich (Engels) - ils se sont déjà lus, estiment l’un l’autre leur premiers écrits, la hauteur, la rigueur de leur pensée : naissance d’une amitié indéfectible. Puissance extraordinaire, renouvelée, de l’incarnation, et génie des acteurs.

Film quasi épique, libérateur, souvent joyeux, qui relève le défi d’un monde sans horizon, de l’injustice qui gît dans l’Europe du 19ème, si proche de la nôtre à bien des égards. L’Europe des trois langues, qu’ils parlent presque simultanément entre eux, dans des villes qu’ils habitent, monde sombre, pas l’Europe de l’argent (bien qu’il en soit question sans cesse et de façon multiple), ni des frontières, mais l’ouverture de notre monde à l’internationalisme, par la puissance de leurs vies. Vraies vies, que le film réinvente dans son audacieuse fiction.

La pensée réelle est acte - c’est bonheur de réfléchir, de connaître, de comprendre des idées réputées obscures ou impossibles, d’aborder des contradictions, d’identifier ce monde injuste qu’ils veulent transformer, et qu’ils ont transformés pour toujours : et leurs écrits nous sont transmis. Il n’en tient qu’à nous, à chacun, de s’en saisir.