Ce qu’il reste de la folie (Joris Lachaise, 2016)

par Daniel Fischer

Après Wang Bing, un autre cinéaste s’intéresse à la folie dans le monde d’aujourd’hui, avec un film qui se passe dans un hôpital psychiatrique au Sénégal, près de Dakar. Ici, l’ethno-psychiatrie, cette doctrine qui prétend qu’on ne peut guérir les malades mentaux "d’ailleurs" (Africains ou autres - étrangement les habitants des anciennes colonies) qu’en prenant en compte leurs "différences culturelles", est littéralement assassinée. On voit se côtoyer les pratiques ancestrales de désenvoûtement par des marabouts (mais comme le dit le film, ce ne sont pas véritablement des "fous", mais des "mystiques" - ah ! si nous pouvions avoir ici des marabouts pour soigner les fidèles de Saint-Nicolas du Chardonnet !) mais aussi l’importation des cadres intellectuels de la psychiatrie actuelle, des interventions d’évangélistes anglophones, etc. sans qu’une hiérarchie soit posée entre ces différentes pratiques comme dans un vulgaire film anti-psychiatrique. On y voit surtout de façon frappante des malades mentaux s’exprimant de façon totalement singulière, brassant les thèmes les plus divers (la plupart en rapport avec notre monde actuel : du conflit israélo-palestinien à la poignée d’oligarques possédant la moitié des ressources de la planète), s’exprimant pour certains tels des intellectuels de haut vol (comme celui qui a tué sa mère) et pour d’autres de façon tout aussi structurée sur des thèmes en rapport avec l’aliénation coloniale ("Vous êtes plus intelligents !" adressé manifestement à un public dont l’orateur sait qu’il est blanc) et enfin à des personnages étonnants, comme ce vieillard fumeur de pipe aux chaussettes vertes et au béret rouge, artiste sénégalais célèbre qui, à plusieurs reprises, théâtralise la folie sans dire un mot, au point qu’on peut effectivement se demander à la fin "ce qu’il reste de la folie".