L’institutrice (Navad Lapid, 2014)

par Charles Foulon

L’institutrice a l’audace de nous dire : le poète est irréductible, le poème a été dit, il est dit pour toujours, (ici, dit ou écrit est la même chose). Plus rien ne peut le nier, ou le sacraliser sur la scène sociale. L’acteur principal, l’enfant, est extraordinaire, car il reste un enfant comme les autres, et parfois a un besoin irrépressible de dire un poème. Il n’a besoin de personne pour cela, il s’adresse au vide, à tous. C’est la nourrice puis l’institutrice qui les note. Cette dernière sent (émotion et raison entremêlées, c’est bien cela une émotion artistique) que ces poèmes sont très importants, qu’ils sont une affirmation dans et au-delà de la situation.

Le point essentiel, c’est que l’enfant n’a jamais peur. Cet enfant est normal : la scène où il chante avec son copain une chanson de supporters de foot est là pour ça. Il n’est pas non plus "visité" par une Muse : il joue, il dort, il mange, et tout à coup il marche et dit un poème. La marche est un élément étonnant de matérialité de la pensée. L’institutrice essaie d’ailleurs elle aussi de marcher, de se laisser porter par un possible.

L’institutrice est beaucoup plus lyrique qu’on ne pense. Il est un peu "sec" peut-être, mais le monde devient de plus en plus puissant au fur et à mesure de l’avancé du film. Les regards, les gestes, les corps, les arbres acquièrent une intensité.

En fait, c’est le monde autour de l’enfant qui semble sombre, mais c’est un sombre en pleine lumière. Soit le sombre de l’indifférence, soit le sombre d’enlever l’enfant, de le comparer à un Mozart, de se sacrifier pour que Le Poète puisse dire. Le titre indique une impasse, celle par qui le scandale arrive. Mais le poète n’est pas intéressé par le scandale. L’institutrice veut éduquer l’enfant-poète, mais on sent que ce n’est pas cela l’éducation d’un poète.

Par son acte final, l’enfant, conscient de sa liberté, mature malgré son âge, fait en sorte qu’il puisse être, ni dans une négation (peur possible de son père), ni dans une sacralisation : simplement dans le possible. Il n’a jamais l’air perdu. Il sait (au-delà du savoir encyclopédique) qui il est, où il est. Son sourire final, c’est l’éternité retrouvée.

Cet enfant, c’est peut-être une métaphore de ce que Hölderlin appelle l’enfance. Un être qui n’est pas encore pris dans le "oui" ou le "non", une promesse qu’il s’agit pour nous, adultes, de tenir. Car le film ne tient pas vraiment de transparence réaliste, on ne s’identifie pas. On est porté par l’idée du poème, et comment le monde change un peu, et surtout comment nous spectateurs, écoutons le poème. Car il nous est d’abord adressé.