Dimanches (Shokir Kholikov, 2025)

par Elisabeth Boyer

Dans la campagne de l’Ouzbékistan, un vieux couple élève seul des moutons et travaille la laine. Tout se déroule comme dans le cinéma muet, même si sonore. Le lieu est splendide, les deux acteurs extraordinaires (Abdurakhmon Yusufaliyev et Roza Piyazova) se tiennent le plus souvent, y compris la nuit dans la cour de la ferme, sorte de living-room à ciel ouvert.

Leurs fils convoitent la maison. Pour hâter le processus, ils y font livrer des objets de la technologie moderne. Lors de leurs passages fantomatiques, projetés dans un futur hypothéqué – possession de la maison – ils semblent des sortes de livreurs urbains actuels, mais cyniques. Ils portent autant de banalité que de violence : leur agitation – burlesque – ne laisse aucune place à l’amour, à la beauté du monde, à la saveur du présent ; ils oublient les petits présents simples de la ferme préparés par leur mère.

Le film pourrait avoir une consonance dramatique, mais au contraire, chaque arrivée, sans crier gare, de mobilier (cuisinière ou téléviseur) – énormes et insolites – résonne comme un gag, et constitue pour le vieux couple des épreuves énormes, poussées jusqu’au tragique avec le smartphone, mais ponctuées d’humour. Finalement, elles attestent de leur amour, le renouvellent.

Tout est grâce entre eux, même pendant leurs querelles. Leurs paroles, rares, surtout chez l’homme, sont cristallisés dans des gestes d’une antique entente, émouvants et souvent drôles.

L’ellipse est le mouvement même du film qui est comme ce qui cache la volonté criminelle et terriblement aveuglée des fils : le noir qui clôt implacablement les séquences a le poids de la nuit, du noir menaçant – mais d’où toute lumière peut ainsi procéder, parce que les jours ne se suivent pas, nous le savons à mille détails, le couple a la capacité de les réinventer. Ainsi, les ellipses rattrapent la chronologie classique des jours de la semaine, mais loin du naturalisme et d’une répétition banale. L’homme et la femme sont des personnalités généreuses, visages et maintiens de grande beauté, dont l’usure des corps sera rendue de plus en plus sensible.

Le silence, les silences appartiennent à la vie à la campagne, à l’entente du couple, tout comme à une bouderie de l’un ou de l’autre.

L’homme et la femme sont irrémédiablement deux, s’aiment en tenant bon sur leur distance, ainsi le film insiste sur leur façon différente d’accueillir ces nouveautés. Ils vivent l’intensité du présent, prennent soin l’un de l’autre – mémorable bain de pieds de la femme et geste inattendu de l’homme qui la porte dans ses bras tel un jeune marié. Pris dans les tâches innombrables de la ferme, le tissage de la laine dont nous découvrons les étapes, ils travaillent ensemble. Pas de retraite imaginable.

Le film ne juge pas les fils, mais on comprend ce qui se soustrait à leurs yeux, et les vies sans amour où ils se cantonnent, où l’accumulation de biens est un idéal, une fin : rien d’autre que les "eaux glacées du capitalisme".

Si nous sommes témoins de leur cupidité, par-dessus tout nous sommes témoins de la jeunesse éternelle, de l’amour de leurs vieux parents, exemplaires.

Le cinéaste réalise son premier long métrage, c’est son art, sa jeunesse à lui, qui a été capable de penser, de créer ce film à la lenteur merveilleuse, à la lisière du tragique et de la comédie. Dimanches ouvre nos regards sur ce qu’est une humanité véritable, sur ce qui importe en ce monde dur et désorienté. Et c’est merveille.