Les trois soeurs du Yunnan (Wang Bing, 2014)

par Judith Balso

Que faire quand est une petite fille de dix ans, qu’on a deux sœurs de six et quatre ans, et qu’on vit dans un village reculé du Yunnan, à 3200 mètres d’altitude, tandis que votre mère est partie au loin et ne reviendra pas, et que votre père s’absente de longs mois pour chercher un peu d’argent à la ville ? Wang Bing filme ces Trois sœurs du Yunnan avec un respect, une délicatesse, une intériorité qui évoquent la façon dont Rembrandt peignait ses portraits. Ce n’est pas de la misère qu’il est question, ni de la sauvagerie de ces vies, bien qu’on puisse constamment les observer, et les éprouver, sentant le froid sur les mains, la fatigue du souffle, les pieds blessés, la démangeaison des poux, la crasse attachée aux vêtements, aux lieux, l’isolement immense de celui qui est pauvre parmi les pauvres, la difficulté des travaux faits par des enfants - lessiver, allumer un feu, couper du bois, sarcler et ramasser de l’herbe, ou des pignes de pin, diriger des cochons, des moutons. Il est question de ce que c’est que vivre quand il semble qu’il n’y ait pas de vie possible. En la filmant comme il fait, Wang Bing transforme cette petite fille silencieuse en mesure de toutes nos vies. Qui serait capable en effet de se tenir debout comme elle dans cette vie impossible ? Et de quoi sont faits nos mondes si de telles vies y sont possibles ?