Regression (Alejandro Amenabar, 2015)

par Charles Foulon

En 1990, dans une petite ville américaine, une jeune fille de 17 ans (Emma Watson), issue d’une famille pauvre, accuse, dans une lettre, son père de l’avoir violée. Commence alors l’enquête de police dirigée par un inspecteur (Ethan Hawk). De ce fait divers et de cette enquête de police, le film ouvre plus largement à la question de l’enquête sur le monde, sur le réel du monde. Car le film divise, par toute une série d’opérations de mise à distance, l’enquête sur la situation en termes de savoir, de l’enquête en pensée sur la situation. On est ainsi très surpris par le fait que dès le début du film, le père de famille avoue le viol aussitôt qu’il est convoqué par la police, même s’il ne se souvient de rien. L’inspecteur est donc aidé par un professeur de psychologie, qui va proposer grâce à l’hypnose de faire régresser le suspect pour faire resurgir le passé refoulé. Il ne s’agira donc pas précisément de savoir qui est le coupable, même s’il y aura un retournement de situation plus tard dans le processus de l’enquête, mais d’abord pour l’enquêteur de creuser et de trouver le pourquoi et le comment du crime.

Et plus il creusera, plus il découvrira des "choses horribles", comme le dira la grand-mère épouvantée de la jeune fille. Plus il creusera, plus nombreux seront les suspects (le père semble faire partie d’un groupe important de criminels "satanistes"). Plus il creusera, plus sombre sera le monde. Plus il creusera, plus il risquera de sombrer lui aussi dans la noirceur. Et, plus il creusera, plus grande sera la distance entre lui et nous. Car l’enquête se base principalement sur la lettre de la jeune fille et sur les interrogatoires des suspects, que l’inspecteur écoute inlassablement comme s’il cherchait quelque chose qu’il n’avait pas bien écouté. En même temps, le film nous montre, sous forme de clichés assumés, les "images" induites, créées par les récits des suspects et des témoins.

Petit à petit, un paradoxe apparaît : plus l’enquête semble avancer, moins les enquêteurs trouvent de preuves. Le film d’abord se remplit, de paroles et d’images, puis se vide. Plus on entre, avec l’inspecteur, dans la subjectivité des personnages, plus on entre dans leurs peurs, dans leurs fantasmes de fin du monde (le monde est de plus en plus envahi par des crimes monstrueux et irrationnels), et moins on pense "avec la tête" dira un personnage. Pour trouver ce qui s’est réellement passé, l’enquêteur devra alors faire l’effort de mettre à distance les récits, le sens, les "signes", l’interprétation. Pour pouvoir penser et réellement rencontrer le monde, il devra traverser les apparences.

Plusieurs fois, on pense à Vertigo d’Hitchcock : par le fait que le film est comme coupé en deux par une révélation, par le fait que l’enquêteur, comme Scott Fergusson/James Stewart arpente rues et routes à la limite de l’errance, par le fait que la musique du film cite presque note à note celle de Bernard Hermann. Encadré au début et à la fin par la remarque qu’il s’agit là d’une histoire qui a réellement eu lieu, et formalisé comme tel, le film a un aspect fortement documentaire. Ce qui produit l’idée d’une Amérique qui a commencé à basculer dans la peur au cour des années 1980. Mais malgré la traversée très sombre du pays, dans un ultime mouvement, le film nous offre un horizon insoupçonné, inespéré.