Loin des hommes (David Oelhoffen, 2015)

par Charles Foulon

Un homme vit loin des hommes en 1954, en Algérie, dans l’Atlas. Instituteur, il est seul dans la montagne. Il n’a pas d’enfant, il a des élèves. Atlas, nom d’un géant qui, selon la légende, porte le monde en équilibre sur ses épaules. Atlas, nom d’une chaîne de montagnes majestueuses et arides en Algérie. Atlas avec un petit « a », nom d’une carte géographique, comme celle qui ouvre le film avec une vue du ciel de la France métropolitaine, et qui le clôt par une carte en coupe transversale de l’Algérie, du nord au sud, nous emmenant ainsi du surplomb schématique à une traversée du réel. D’une vision officielle étatique garnie de frontières à la matérialité physique et subjective d’un pays.

On pourrait lire : Loi des hommes. Car loin des hommes, les personnages auront pourtant fort à faire avec les lois : loi des programmes de l’éducation nationale, loi du sang ou de la vendetta, loi policière et judiciaire, loi du soulèvement de libération nationale, loi coloniale.

Deux hommes vont être forcés de traverser ces lois d’abord pour survivre, puis pour décider de vivre. L’instituteur, joué par Viggo Mortensen, donne beauté et puissance au personnage de Daru, ainsi qu’étrangeté par son accent, même s’il parle un français impeccable. Il parle également l’arabe, ce qui le rend encore plus diagonal : le choix et le jeu de l’acteur désubstantialise l’identité française. Le jeune homme qu’il accompagne dans la traversée du pays, d’abord soumis puis beaucoup complexe qu’il n’y paraît, est joué par Reda Kateb. Là encore, par le jeu, par la sensibilité exprimée, l’exotisme et le cliché français de l’arabe tombent immédiatement.

Loin des hommes se souvient des grands westerns (ceux de Ford, de Fuller, de Mann, The Oxbow Incident de Wellmann), où il faut subjectivement traverser le désert pour constituer quelque chose qui touche, non plus à la loi, mais à la justice. Quelque chose qui donne un nouvel équilibre au monde.